Orbis Terrae: Après bien des mésaventures dans l'Ancien Monde, votre ancêtre a connu un sort meilleur dans le Nouveau. Fuir, est-ce la solution ?
Marielle Stamm : Pour lui, c’était sans doute la meilleure. Certes, il y a une sorte de lâcheté dans ce départ précipité et sans retour, et dans l’abandon de ce petit bâtard qui a grandi sans lui, à Schaffhausen. Mais Wilhelm n’avait plus aucun avenir ni en Suisse, ni en Allemagne trop près, trop proche. C’était une question de survie pour sa famille et ses deux enfants légitimes.
A l’époque, des centaines de milliers d’Allemands (dix fois plus que de Français) émigraient vers le Nouveau Monde à la recherche du rêve américain. William Elterich, devenu avocat et citoyen américain, estimé de tous ses compatriotes d’origine allemande, est la preuve que beaucoup d’entre eux l’ont accompli avec succès.
Orbis Terrae: Marcher sur les pas de ses aïeux est un plaisir de généalogiste. Avez-vous tenté de refaire le périple du jeune Gotèlfe, dans les eaux de la Mer noire et de l’Égée ? Avez-vous chargé votre barque – littéraire ? – de plomb et de maïs ?
Marielle Stamm : J’aurais aimé voyager sur ses traces. J’adore Istambul, ses mosquées, Sainte-Sophie, le Palais de Topkapi, le Bosphore et je rêve d’y retourner, même si je déteste l’homme qui dirige aujourd’hui la Turquie. Ce n’était qu’un voyage purement touristique. Je ne savais pas qu’Izmir, l’aéroport où j’ai atterri, n’était autre que Smyrne, cette ville enchanteresse où, en cette fin du XIXè siècle, on cueillait des centaines de roses dans les jardins pour un bal à falbalas offert à la colonie anglaise par un capitaine généreux, sur son cargo bourré de plomb et accessoirement de rats ! Après avoir lu le petit récit de mon grand-père et l’histoire de ce voyage de noces inattendu, j’ai effectué de nombreuses recherches sur toutes les villes où son bateau a accosté. Saviez-vous que le plomb du Laurion était déjà exploité par les Romains, ceux de la Rome Antique ?
J’aime la géographie et je fais beaucoup de voyages dans ma tête à l’aide de cartes, de guides de voyage et d’Internet.
Orbis Terrae: L’atmosphère plus détendue des ports de mer n’eut-elle pas mieux convenu à votre ancêtre que celle, rigide, d'un petit bourg de Suisse allemande... ?
Marielle Stamm : Très certainement. D’ailleurs Gotèlfe ne s’y est pas trompé. De l’âge de 18 ans jusqu’à sa mort, il a vécu à Marseille qu’il aimait beaucoup. Peu de Marseillais savent que c’est lui qui est à l’origine du négoce lucratif entre le port de commerce de Marseille et l’Afrique noire, dès le début du XXè siècle.
Orbis Terrae: Qu'est-ce que l'écrivaine que vous êtres pense du « propre en ordre » helvétique, et du sort qu'il réserve aux vieux papiers... ?
Marielle Stamm : J’ai hérité du goût du propre en ordre helvétique mais j’ai beaucoup de peine à lutter contre l’envahissement du papier chez moi ! On garde parce que « ça peut toujours servir ». On a trouvé chez une des mes arrière-grands-mères (du côté cévenol, cette fois) une petite boîte où étaient soigneusement rangés… « des petits bouts de ficelle ne pouvant servir à rien ! » Telle était l’inscription délicieusement naïve inscrite sur la boîte !
J’ai des cartons entièrs de correspondance dans ma cave que je me propose de relire un jour. Mais en aurai-je le temps ? On n’écrit plus aujourd’hui sauf des SMS abscons truffés d’émoticons. Le jour viendra où cette correspondance sera le meilleur témoignage de notre société tout au lond du XXè siècle. Hélas ! Ces lettres finiront sans doute brûlées ou dans un déchetterie. Sans que ma descendance en éprouve le moindre remords.
Orbis Terrae: Ce livre est issu d'une recherche sur vos origines. C'est une démarche très personnelle. Allons au-delà : quel enseignement de portée universelle tirez-vous du parcours de votre ancêtre ?
Marielle Stamm: Que la volonté est une des meilleures qualités pour réussir. Que la générosité est un don du ciel pour tous ceux qui ont la chance d’en bénéficier. L’argent superflu n’a pas d’autre finalité. Que toute forme d’injustice doit être combattue contre vents et marées : le sexisme, le racisme, mais aussi les préférences et le favoritisme au sein des familles. Et encore, bien d’autres formes d’injustice, comme l’homophobie et l’antisémitisme, même s’il n’est pas question de celles-là dans mon livre.
Marielle Stamm
5.06.2019
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